Le Soleil, lundi 23 août 2004, pages A1-A2 ANNE-MARIE VOISARD
Un cinéaste pas facile à
suivre Denis Boivin, réalisateur de Parole de guérison, est un hyperactif aux idées débordantes. Non content d'avoir mené à terme cette série de six documentaires sur les pensionnats autochtones du Québec, il a du même coup tourné un long métrage de fiction, Attache ta tuque!, et s'est imposé un périple de plus de 2500 kilomètres.
Pour toutes ces raisons, et d'autres, le cinéaste n'est pas facile à suivre. Il nous reçoit dans ses bureaux, près du boulevard de la Capitale. Si ce n'était de la blondeur de sa chevelure (avec des pointes de gris aux tempes), on pourrait le prendre pour un Wendat. Il porte une veste de cuir fauve sans manches, mais aux multiples poches. La stature est imposante. L'âme de la maison, c'est lui. Ça se sent. Mais le contact est amical. Aussi allons-nous pouvoir lui poser toutes les questions. Pour commencer, notons que Denis Boivin est loin d'être un inconnu. L'un de ses films, Le Pardon, lui a valu de nombreux prix, dont le Henri-Langlois au Festival international de Tours, en 1992. Il s'agit du drame de deux adolescents montréalais, assassinés sur le pont Jacques-Cartier, alors qu'ils revenaient d'une soirée à La Ronde. Denis Boivin nous présente les parents de la jeune fille, qui serrent dans leurs bras l'un des tueurs. Tous ceux qui ont vu le film, présenté à TQS, se souviennent de cette scène particulièrement émouvante. RECONNU À L'ÉTRANGER «L'intelligentsia m'a craché dessus», lance le cinéaste, avant de faire le pari que, cette fois encore, il faudra que la France le récompense. Ensuite les institutions d'ici emboîteront le pas. Encore que, dans le cas présent, la reconnaissance pourrait bien venir de Miramax, filiale de Walt Disney. La sortie récente du film de Mel Gibson, La Passion du Christ, a ravivé l'intérêt pour un projet que Denis Boivin caresse depuis des lustres. Il s'agit d'un long métrage sur Marie Guyart. Si on cherche un fil conducteur pour expliquer ce qui anime Denis Boivin, c'est celui-là. Il y a longtemps qu'elle est dans sa vie cette femme qui est à l'origine de la communauté des Ursulines, presque autant que ses amis du Village huron, près de qui il a grandi, à Loretteville. Max Gros-Louis? Il le connaît depuis qu'il est au monde. «J'ai une tante qui faisait des perles pour lui.» Elles servaient à décorer les mocassins. C'est d'ailleurs avec Kino, fils de Max, que fut élaboré Parole de guérison, fameuse aventure dont le fonds de départ consenti par Téléfilm Canada fut de 197 000 $. «Quand j'entends Pierre Falardeau chialer parce qu'il a juste 3 millions $...» La phrase reste en suspens. Denis Boivin préfère parler de Wally Alexis Cheezo, vedette d'Attache ta tuque!, qui est un Algonquin de Lac-Simon. Wally, alias Sam, quitte sa réserve natale en Abitibi, pour retrouver son amoureuse qui étudie à Québec. En chemin, il rencontre une Russe et ce sera le début d'une expédition «au-delà de toute voie carossable». Ce road movie devrait être présenté dans les Cinéplex Odéon. CHAMAN ET HIP-HOP Un chaman fait partie de la distribution. Jean-Louis Fontaine tient le rôle. Il est Montagnais. C'est lui qui a traduit Parole de guérison, la série sur les pensionnats, car les gens ont trouvé plus facile, en général, de témoigner dans leur langue maternelle. M. Fontaine possède une maîtrise en ethnologie. Sa spécialité: l'arrivée des Jésuites en Nouvelle-France. Ce qui le rapproche de Denis Boivin, grand fan de Marie de l'Incarnation. À tel point qu'il s'est rendu à l'Université Laval faire une maîtrise en théologie, et a choisi la missionnaire comme sujet d'étude «pour pas qu'on me dise que je sais pas de quoi je parle». Depuis le temps qu'il s'intéresse à Marie Guyart, le cinéaste n'a rien négligé pour fignoler le scénario. Il a même eu l'aide de Jean-Claude Carrière (Le Hussard sur le toit, etc.) qu'il considère comme son mentor. Maintenant que Miramax se montre «très intéressée», Denis Boivin se demande bien ce qui pourrait empêcher Téléfilm Canada d'apporter son soutien. D'autant plus que, de cette source, une bonne nouvelle qu'il n'osait espérer lui parvient. Mikuan et Carcajou, la série pour enfants que produit la compagnie K8E K8E aura une suite. Ce sera Mikuan et Tshakapesh, du nom d'un personnage mythique, un petit enfant très fort, chez les autochtones du Nord. Elle sera présentée sur les ondes de l'APTN, au canal 58. Qu'est-ce que signifie K8E K8E? Bienvenue. Le 8 correspond à la lettre grecque upsilon, qui se prononce «ou» en innu. Denis Boivin regroupe sous ce nom toutes les activités qui impliquent les autochtones. Autrement, la raison sociale est Dionysos. Il a même ouvert une école, «parce qu'on s'est aperçu que si les gens étaient formés, on serait capables d'avoir des acteurs, des techniciens». Lors du déménagement de Radio-Canada vers le centre-ville, K8E K8E a pu se procurer du matériel. Via Saco (Service d'assistance canadienne aux organismes), des retraités bénévoles, qui ont oeuvré dans le milieu du cinéma, transmettent leur savoir. Les idées, ça fourmille. En voici encore une pour conclure. Denis Boivin projette de porter à l'écran Antigun. C'est une version contemporaine de la pièce de Sophocle, à partir de deux frères morts au combat, lors de la guerre en Irak, et transportés à Wendake. Les choeurs antiques seront au rendez-vous, mais sur fond de hiphop. Il attend la réponse de Téléfilm Canada. |