Denise Martel
Journal de Québec, lundi 24 février 1992

Le Pardon

Un tour de force

"C’est facile d’aimer ses amis ; aimer ses ennemis, c’est ça qui est difficile."

C'est dans cette phrase évangélique prononcé par Louis Dupont que réside toute la démarche, toute l'immensité du pardon qu'ont accordé Loui et Jeannine Dupont à Normand Guérin, l'un de deux meurtriers de leur fille Chantale.

Rappelons d'abord les faits. En 1979, le meurtre de Chantale Dupont et de Maurice Marcil, deux adolescents de 15 et 14 ans, a fait couler énormément d'encre et suscité les réactions les plus vives par son aspect sordide. Après avoir violé l'adolescente, les deux meurtriers, Normand Guérin et Gilles Pimparé, ont littéralement balancé les deux jeunes en bas du pont Jacques-Cartier, à Montréal. Leurs cadavres ont été retrouvés sept jours plus tard. Les deux meurtriers purgent des sentences de prison à vie sans possibilité de libération.

Déjà, au moment du procès, les Dupont avaient étonné en déclarant avoir pardonné aux meurtriers. Douze ans plus tard, leur pardon se concrétise par leur rencontre, au pénitencier de Port-Cartier, avec l'un des deux meurtriers, Normand Guérin, qu'ils serrent dans leurs bras et reconnaissent d'emblée comme leur fils adoptif. L'autre meurtrier a refusé de les rencontrer.

Présenté, hier après-midi au Musée de la civilisation, à la clôture des Rendez-vous du cinéma québécois, " Le Pardon ", réalisé par Denis Boivin, suscite curieusement un débat relativement sage avec le réalisateur. Comme si le publie était figé par l'émotion, même si on devine chez plusieurs une indignation semblable à celle formulée au début du film par le chroniqueur judiciaire Claude Poirier. " Je ne peux pas m'imaginer que des parents arrivent à pardonner au meurtrier de leur enfant ", déclare-t-il d'entrée de jeu.

Rencontre nécessaire

En entrevue, le réalisateur, originaire de Québec, explique qu'il a, lui aussi, de la difficulté comprendre l'attitude des Dupont. " La seule façon d'y arriver, c'est en me mettant dans la peau des Dupont. Pour eux, cette rencontre était nécessaire pour donner un sens nouveau à la mort de leur fille, pour la continuité de leur pardon.

"Je suis privilégié à cause du fait que j'ai tout vu se dérouler. J'ai même tiré les ficelles pour les aider à réaliser leur rêve. Je suis, comme qui dirait, arrivé au bon endroit au bon moment. Ça faisait des années qu'ils essayaient de rencontrer Normand Guérin, mais depuis quatre ou cinq ans, tous les contacts étaient coupés. Je leur ai offert de servir de lien entre eux et, à la fois, les autorités carcérales, et le meurtrier", confie Denis Boivin.

Primé à Tours

Celui-ci réussit le tour de force d'offrir un film d'une sobriété exceptionnelle tout en nous faisant voir tous les côtés de la médaille. En effet, il nous fait rencontrer non seulement les parents de la victime - des gens, on le devine, profondément religieux - mais aussi le père de l'adolescent assassiné, qui, lui, arrive à peine à oublier, encore moins à pardonner.

Boivin va même jusqu'à s'entretenir avec Normand Guérin, de même qu'avec sa mère et son frère jumeau qui ont subi les contrecoups de l'horrible crime. Mais jamais de sensationnalisme. Pas étonnant que " Le Pardon " ait permis à Boivin de gagner le Grand Prix Henri-Langlois pour le grand reportage au dernier Festival de Tours en France.

Un honneur qu'il revendique avec une fierté non dissimulée. S'il confesse encore une certaine agressivité envers les institutions québécoises et canadiennes qui ont refusé de soutenir son film, l'obligeant à trouver seul le financement nécessaire, en partie auprès de la Fondation Giguère, Denis Boivin espère bien que ce prix lui ouvrira des portes pour ses prochains projets. Il espère réaliser, entre autres, un long métrage sur Marie de l’Incarnation.

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