Patricia Bergeron (collaboration spéciale)
Dernière Heure, 2 novembre 1996

Denis Boivin, cinéaste
"Le miracle qui m’a mené au pape"

Ce qu’a accompli Denis Boivin relève de l’exploit. De Loretteville, il est parti pour le Vatican, décidé à obtenir l’autorisation de filmer le pape. Pendant un mois, il a attendu. Et le miracle s’est produit : c’est lui qui a décroché l’exclusivité.

Le cinéaste Denis Boivin, de Loretteville, a un front de boeuf et une détermination à tout casser. Après avoir été le seul Canadien autorisé à filmer la reine d’Angleterre lors de son passage à Québec en 1988, il vient de réussir le meilleur coup de sa carrière : il a filmé en exclusivité le pèlerinage du Pape en France.

Avec l'aide de son fidèle cameraman et directeur photo, Alain Dupras (qui faisait équipe avec lui dans le film Le Pardon), M. Boivin a enregistré une cérémonie intime qui se déroulait au monastère de la Grande-Bretèche, le 21 septembre. Il nous dévoile les étapes qui l'ont conduit à ce tournage magique avec Sa Sainteté et nous fait, au passage, des révélations surprenantes.

Monsieur Boivin, comment vous est venue l'idée de filmer le Pape ?

Un journaliste m'a appelé un jour pour me dire que le Pape allait séjourner trois jours et trois nuits au monastère de la Grande-Bretèche. le ne pouvais pas manquer cette occasion ! J'ai donc commencé à faire de la recherche en mars ou en avril 1995.

Quelles démarches avez-vous entreprises ?

J’ai soumis mon projet à plusieurs organismes. Deux d'entre eux m'ont donné un peu d'argent, mais j'ai dû assumer 75% des dépenses. Ça été difficile de communiquer avec le Vatican. Je ne savais pas si les gens à qui j'écrivais parlaient français, anglais ou italien. J'ai communiqué avec le père Guillet, de l'Office des communications sociales à Rome. En raison du grand nombre de demandes, celui-ci m'a conseillé de venir sur place rencontrer les responsables.

Comment s'est déroulé le voyage ?

J'ai commis une erreur de débutant : je suis allé à Rome au mois d'août, alors que tout y est fermé. Ç’a été un choc culturel. Un Nord-Américain ne peut pas imaginer que l'une des plus grandes villes du monde ferme boutique pendant un mois ! Je me sentais un peu perdu : le père Guillet était en vacances, et je ne parle pas l'italien. Heureusement, j'ai rencontré un prêtre allemand qui parlait anglais. Il m'a servi d'interprète et m'a présenté à des gens qui se rendaient aussi au Vatican. Le matin où j'y suis allé, il y avait sept autres personnes venues exactement dans le même but que moi.

Qui pouvait vous donner l'autorisation dont vous aviez besoin ?

Le Bureau de presse du Saint Siège. C'est le niveau le plus élevé de l'organisation, et c'est très difficile d'y accéder. J'avais deux lettres de références : une de Mgr Couture, l'archevêque de Québec, et une du cardinal Turcotte, de Montréal. Quand je les ai remises aux autorités, je pensais que c'était fini, mais il a encore fallu que je réponde à leurs questions. Le Bureau de presse avait reçu 1600 demandes. Ça m'a enlevé toutes mes illusions. Heureusement, le fait d'avoir été le seul Canadien autorisé à filmer la reine d'Angleterre lors de sa visite à Québec en 1988 m'a aidé à établir ma crédibilité.

Que s'est-il passé ensuite ?

Je m’attendais à recevoir une réponse rapidement mais la personne responsable revenait de vacances à la fin de septembre. Le 11, j'ai reçu un fax du Vatican me demandant de me mettre en liaison avec les organisateurs en France. Le lendemain, j'étais à Paris. Le père de la Brosse m’a reçu. Il avait accepté ma demande, mais il devait attendre l'accord de Rome concernant la sécurité. Peu à peu, le projet prenait forme. Quand je me suis présenté à l'archevêché de Tours, il y avait deux autres journalistes qui faisaient une demande pour filmer à la Grande-Bretèche. Le directeur des communications a dit non à ces journalistes, puis une chose miraculeuse s'est produite : il a sorti ma carte de la poche de son veston et m'a invité à le suivre dans son bureau. Il était au courant de mon projet grâce à mon contact de Paris. Il m'a dit qu'il devait attendre la réponse officielle de Rome. J'ai attendu jusqu’à midi, mais je savais que tout était fermé à Rome et que la réponse ne viendrait pas dans l'après-midi.

Étiez-vous découragé ?

À ce moment-là, j'avoue que je n’y croyais plus. Je songeais à m'envoler pour Québec bientôt. Le lendemain, alors que je prenais des photos sur les rives de la Loire, quelqu'un est arrivé en courant sur le pont en criant : " Denis, Denis ! Ta demande a été acceptée ! " Nous étions un samedi, et tout était fermé jusqu'au lundi...

Quelle a été votre réaction?

Comment allais-je faire pour trouver de l'argent et une caméra digne de ce privilège en

une semaine ? le n'allais quand même pas filmer le Pape avec une petite Hi-8 alors que j'avais une autorisation spéciale du Vatican ! J'aurais eu l'air d'un clown ! J'ai appelé tous mes contacts afin de trouver du matériel, en vain. Finalement, la monteuse du film Le Pardon m'a mis en contact avec un producteur parisien, Jean-Pierre Baril, d'Euromédia Télévision. J'ai pris la direction de Paris pour le rencontrer, en me croisant les doigts. C'était le lundi, à 14 h ; il me restait six heures pour trouver du matériel et de l'argent afin de faire venir mes techniciens !

Comment ce producteur parisien a-t-il réagi ?

Quand je lui ai montré la lettre du Vatican, il a pris son téléphone et a demandé la meilleure caméra sur le marché (une digitale 700 lignes) et une voiture de production (une Peugeot familiale).

Le rêve se concrétisait enfin.

Oui. J'ai appelé mon cameraman et mon preneur de son pour qu'ils me rejoignent d'urgence à Paris. Dès leur arrivée, nous avons sauté dans la voiture avec le matériel. Nous sommes arrivés les derniers à Tours. Tous les hôtels et téléphones cellulaires étaient loués par les 1 600 journalistes présents. Un ami nous a déniché un petit hôtel à côté d'une agence de voyages.

Le tournage s'est donc organisé à la dernière minute.

Oui. Il a même fallu improviser pour que le preneur de son puisse avoir un peu d'allure

à la Grande-Bretèche! Vu la rapidité avec laquelle il était parti de Québec, Stéphane n'avait pas eu le temps de faire une grosse valise. J'ai demandé à un serveur s'il pouvait nous trouver d'urgence une cravate. Il est sorti du restaurant et est revenu avec une cravate qu'il a donnée à Stéphane. Le jour du tournage, Stéphane portait la cravate du serveur et le pantalon du chauffeur !

Avez-vous parlé au Pape ?

Non. le ne demanderais jamais une audience avec le Pape. Son temps est trop précieux. Je voulais seulement le filmer.

Quand l'avez-vous filmé pour la première fois ?

À Saint-Laurent-sur-Sèvre. Nous étions bien placés : ça augurait bien. Ce que je trouve le plus impressionnant, ce ne sont pas les discours du Pape, mais le silence qu’il réussit à imposer après coup. C'est une autorité magique. Il pleuvait, mais la pluie a cessé quand le Pape est arrivé. Il a dit aux jeunes : " Il a cessé de pleuvoir, et c'est grâce à vous. "

Comment s'est déroulée la cérémonie à la Grande-Bretèche ?

Le Pape est arrivé en s'appuyant sur une canne. Il devait prier avec les sœurs pendant 20 minutes mais, à la surprise générale, il a écourté la prière pour rencontrer chacune d'elles personnellement. Il a été très patient. Il a rencontré 100 religieuses en 25 minutes. Grâce à une perche de son, nous avons pu entendre ce qu'il leur disait : " Priez pour le Pape aussi. " Il a donné à chacune un chapelet avec sa croix personnelle.

Que souhaitez-vous montrer du Pape ?

Mon film vise à montrer comment c'est difficile d'occuper une telle fonction. Il y a deux types de documentaires sur Jean-Paul II : ceux qui le louangent et ceux qui le démolissent. Je montre l'homme derrière l'institution.

Qu'est-ce qui vous surprend le plus chez Jean-Paul II ?

Il est très drôle ! Nous avons interviewé certains de ses amis d'école, notamment le père Gendreau et Mgr Honoré, et ils nous l'ont décrit comme quelqu'un qui lance toujours un mot d'esprit gentil. Quand les gens crient " Vive le Pape ! ", il répond toujours : " Mais le Pape vit ! " À la Grande-Bretèche, le Pape a eu un petit sourire en coin quand une religieuse photographe s'est agenouillée devant lui pour obtenir un meilleur angle pour ses photos. Il l'a bénie à la blague. Cette espièglerie a fait sourire tout le monde.

Avez-vous enregistré beaucoup de matériel ?

Nous avons environ 600 minutes de film. C'est énorme. Nous avons monté un " démo " de 10 minutes à toute vapeur pour la foire de Cologne et le Mitcom de Cannes.

Quels sont vos projets?

Je veux retourner à Rome et prendre des images au Vatican. C'est impossible, mais je vais le faire!

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