Paule des Rivières
Le Devoir, mercredi 11 novembre 1992

Un grand coup de coeur à TQS

Un documentaire exceptionnel sur le thème du pardon

UN PÈRE et une mère pardonnent à l'homme qui a violé et tué leur fille de 15 ans. Impossible ?  Non. Cela s'est passé chez nous, à Longueuil. Et comme si cela ne suffisait pas, les parents de la victime veulent rencontrer le meurtrier.

Cette histoire exceptionnelle est le thème d'un documentaire non moins exceptionnel que Télévision Quatre Saisons présente dimanche à 19h.

L'histoire avait fait les manchettes à l'époque, en 1979, lorsque Chantal Dupont, 15 ans, et Maurice Marcil, 14 ans, sont violés, étranglés et projetés en bas du pont Jacques-Cartier par deux hommes de 25 ans. Peu de temps après, Jeannine et Louis Dupont déclarent publiquement qu'ils pardonnent aux meurtriers, comme Jésus a pardonné.

Un échange de correspondance s’ensuit entre les parents et Normand Guérin, condamné à 25 ans de prison, qui conduira à une rencontre, dix ans après les crimes, en présence de la caméra.

Le sujet n'est pas facile et c'est peu dire. Le réalisateur, Denis Boivin, nous offre un film troublant et explosif, qui ose demander si le meurtrier n'est pas lui aussi une victime.

Radio-Canada et Radio-Québec ont refusé le film. Ils ont eu peur d'un film pouvant sembler sympathique au meurtrier, découvrant son cité humain. Ils ont eu peur aussi des témoignages montrant jusqu'où la religion pouvait mener. " Certains auraient voulu un film davantage anti-religion ", expliquait M. Boivin hier, qui a lui-même complété une maîtrise en théologie.

Les deux télévisions publiques ont assoupli leur position lorsque le film Le Pardon a commencé de gagner des prix à l'étranger mais M. Boivin est resté fidèle à TQS qui lui avait fait bon accueil dès le début. Le film a été présenté aux Rendez-vous du

cinéma québécois l'année dernière. Il y a suscité un véritable émoi.

Le documentaire, qui dure une heure, présente brièvement le drame. Le journaliste Claude Poirier, qui avait couvert l'événement, donne son point de vue, que partageront sans doute de nombreux téléspectateurs. Il ne peut pardonner. Il ne pourrait jamais pardonner à de tels criminels. Puis, nous passons aux entrevues, d'abord avec le père du jeune Maurice, qui lui, ne pardonne pas et préfère " oublier de temps en temps " en travaillant dans son jardin plutôt que de pardonner.

" Lorsque j'ai entendu dire qu'ils pardonnaient, cela m'a choqué... Pour parler de pardon, il faut que t'embarques dans un bag religieux ", dit-il.

Les Dupont s'expriment ensuite, souriant un peu fragilement et expliquant que leur croyance en Jésus les a conduits naturellement à pardonner.

" Abraham a offert son fils à Jésus en sacrifice. Nous on a offert notre fille au Seigneur. C'est cela pardonner ", dit Mme Dupont. Les Dupont ne font-ils qu'appliquer les principes de l'Église que tant de gens ignorent ? Se jettent-ils corps et âme dans la religion comme l'on s'accroche à une bouée de sauvetage ?

Les entrevues sont entrecoupées de scènes du Pont Jacques-Cartier, le soir. Le saxophone accompagne ces scènes, comme une menace planant au-dessus du Pont, en apparence inoffensif.

Le réalisateur visite ensuite la famille du meurtrier - un seul a avoué avoir commis les meurtres et un seul a voulu échanger avec M. et Mme Dupont -. Son frère jumeau et sa mère l'accueille. Cette dernière explique sa surprise devant le pardon des parents d'une des victimes et ajoute que si eux pardonnent " de quoi aurions-nous l’air, nous, de ne pas pardonner ".

La parole est ensuite donnée à Normand Guérin, le meurtrier, qui vit à la prison de Port-Cartier. Il tente d'expliquer son geste, la mort de son père, ses difficultés avec les filles parce qu'il faisait tout ce qu'elles lui demandaient, puis la pureté qui se dégageait de la petite Chantal qu'il a voulu garder pour lui seul. Il parle des Dupont lorsqu'il les a aperçus en cour et qu'ils lui ont adressé un petit sourire. " Ils dégageaient tellement d'amour que j'ai eu peur ".

Le meurtrier et les Dupont finiront par se rencontrer, dans une minute de cinéma vérité à l'état pur. M se jetteront dans les bras l'un de l'autre, en pleurant à chaudes larmes.

Le documentaire ne sera interrompu que deux fois pour des pauses commerciales, au lieu de six comme c'est habituellement le cas pour une heure de programmation. " J'ai tout de suite été pris par la valeur sociale du film ", expliquait Daniel Harvey, directeur de la programmation et heureux de faire mentir tous ceux qui disent que sa télévision ne fait que du divertissement.

Le réalisateur, dont le prochain film portera sur la vie de Marie de l'Incarnation et le mysticisme, a une feuille de route bien personnelle. Il n'a jamais été un favori des organismes subventionnaires. Téléfilm ou la Société générale des industries culturelles du Québec. Son premier film s'intitule L’âge dort et porte sur Philippe Latulipe, ce marathonien qui marchait sans jamais s'arrêter. Il fait ensuite un film illustrant la communication dont sont capables les handicapés, puis un autre sur Jean Vanier, qui a passé sa vie auprès des handicapés. Pour son film sur Jean Vanier et celui sur le pardon, M. Boivin a obtenu l'aide de la Fondation Giguère, mise sur pied par le concessionnaire automobile Giguère de Québec.

M. Boivin, qui a 37 ans, veut-il faire passer un message de pardon ? " Je veux surtout faire vivre les émotions qui conduisent au pardon ".


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