Alain Woodrow
Le Monde, mercredi 22 avril

LA MARCHE DU SIÈCLE: FR 3, 20 h 40

Pardonner l'impardonnable ?

Jean-Marie Cavada s'attaque à un sujet délicat entre tous : le pardon. La justice des hommes ne laisse aucune place à cette vertu héroïque, pourtant essentielle aux relations humaines.

Le code pénal ignore le verbe pardonner. Juridiquement, le pardon n'existe pas. La société poursuit les criminels, et les victimes peuvent demander réparation en se constituant partie civile. Le pardon, une vertu rare, contre nature, héroïque, est donné de surcroît. Il a certainement coûté à la jeune femme, victime de l'attentat de la rue de Rennes, de dire à son bourreau Fouad Salah, devant la cour d'assises de Paris le 8 avril : " Je comprends les raisons qui Yom ont motivé, mais pas les moyens. " Comprendre n'est pas encore pardonner. Loin s'en faut.

D'autres victimes viendront témoigner sur le plateau de " La Marche du siècle ". Jean-Louis Normandin, caméraman à Antenne 2 détenu au Liban du 8 mars 1986 au 27 novembre 1987, parlera de son expérience d'otage. Nathalie Schweighoffer, violée à douze ans par son père, puis torturée et humiliée pendant cinq ans, a fini par porter plainte à dix-huit ans. Son père a été condamné à douze ans de réclusion criminelle pour inceste. Aujourd'hui, à vingt et un ans, Nathalie a-t-elle pardonné ? Henri Dabau, lui, n'y arrive pas. En 1979, son fils unique de trois ans fut violenté puis tué. " Comment voulez-vous qu’un père puisse pardonner à l'assassin de son fils ?", demande-t-il.

D’autres ont franchi le pas. Jean-Paul II a visité son agresseur Ali Agça en prison. Tracy Chamoun, fille de Dany Chamoun, chef chrétien maronite allié au général Aoun, assassiné en 1990, a retrouvé le chemin du pardon, grâce à sa foi. Adam Michnik, ancien leader de Solidarnosc, a accepté de dialoguer avec celui qui l’avait jeté en prison à plusieurs reprises, le général Jaruzelski. Miguel Angel Estrella, pianiste argentin, emprisonné et torturé, explique que le pardon est un besoin vital pour son art : " Il faut pardonner, dit-il, tout en gardant en mémoire les atteintes graves aux êtres humains. "

Et puis, il est des hommes d’État qui ont demandé pardon publiquement pour des fautes collectives. Juan Carlos, descendant des rois " très catholiques " Isabelle et Ferdinand, vient de faire amende honorable à la synagogue de Madrid, pour l'expulsion en 1492 des juifs espagnols. En 1970, le chancelier allemand Willy Brandt s'est agenouillé devant le monument commémorant le ghetto de Varsovie. Citons encore le président tchèque Vaclav Havel qui, poW sa première déclaration de politique étrangère, demandait pardon, à Munich, à la minorité allemande des Sudètes expulsée de Tchécoslovaquie après la guerre.

On verra au cours de l'émission de Jean-Marie Cavada un document canadien exceptionnel (primé au Festival de Toursen janvier). Le Pardon raconte une histoire incroyable. Le cinéaste et professeur de religion québécois Denis Boivin a tourné un film sur le crime commis, en 1979 à Montréal, par deux voyous : Normand Guérin et Gilles Pimparé avaient assassiné Chantal Dupont, quatorze ans, et Maurice Marcil, dix-sept ans, après avoir violé la jeune fille.

Au départ, Denis Boivin voulait faire un reportage pour la télévision sur les parents de l'adolescente, dix ans après le crime. Apprenant que Jeannine et Louis Dupont avaient non seulement pardonné aux meurtriers (tout comme la soeur de Chantal, Sylvie, aujourd'hui religieuse), mais qu'ils souhaitaient rencontrer les assassins, le réalisateur a entrepris des démarches pour organiser cette confrontation, au pénitencier de Port-Cartier. Seul Normand Guérin a accepté le face-à-face, qui constitue le point culminant du film.

Moment de grande émotion où le garçon éclate en sanglots et se blottit contre les parents. Moment longuement préparé par les divers témoignages qui montrent

le cheminement vers ce pardon inattendu. Il y a Grégoire Marcil, le père de l'adolescent assassiné, qui chuchote : " Je ne suis pas religieux : je préfère oublier plutôt que pardonner " ; Claude Poirier, journaliste, qui avoue : " En trente ans de métier, c'est l'un des crimes les plus écœurants que j'aie eus à couvrir. " ; Murielle Guérin, la mère du meurtrier, qui dit, incrédule : " Le pardon ? Ce n’est pas possible ! Je n'étais même pas capable de dire merci ! " ; Normand Guérin, un des coupables, qui reconnaît : "Moi j'aurais haï la personne qui aurait tué ma fille !"

Et puis les parents de la victime, des catholiques " charismatiques ", et quelque peu doloristes, qui auront ces paroles inouïes : " Chantal, c'est notre sacrifice à Dieu comme Abraham qui voulait sacrifier son fils unique. Pardonner, c'est offrir notre fille au Seigneur. " Le pardon est surhumain.


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