Le Soleil Vendredi 21 février 1992
"Le Pardon" de Denis Boivin
L'incroyable absolution des Dupont
Jusqu'ici inconnu, le cinéaste Denis Boivin s'amène dimanche à Québec, sa ville
natale, auréolé du succès que Le pardon vient de connaître aux Rendez-vous du cinéma
québécois de Montréal.
En ce jour dominical très approprié au sujet, le jeune homme vient clôturer (à
guichets fermés) les "Rendez-vous..." de Québec; au Musée de
la civilisation, avec son moyen métrage d'une heure racontant l'histoire d'un édifiant
mais incroyable pardon.
En ces temps modernes; le pardon est une valeur si peu à la mode que certaines personnes;
ayant mal digéré leur enfance vécue dans l'eau
bénite; sont portées à accuser la "sainte famille" de Jeannine et Louis
Dupont de fanatisme religieux. Comme on le ferait pour ceux qui; au
contraire; tuent dans une autre partie de la planète pour la "guerre sainte"
des intégristes religieux.
L'ultime accolade
Le pardon ramène à l'actualité un crime horrible et tout à fait gratuit qui a eu lieu
à Montréal à l'été de 1979. Une adolescente de 15 ans;
Chantal Dupont; avait été violée puis jetée en bas du pont Jacques-Cartier avec son
ami; Maurice Marcil (14 ans). Dix jours plus tard; on repêchait les corps des deux
adolescents en même temps qu'on arrêtait les deux meurtriers; Normand Guérin et Gilles
Pimparé. Ils furent condamnés à 25 ans de pénitencier sans possibilité de rémission.
Une dizaine d'années plus tard; Denis Boivin assiste; en compagnie de son équipe de
tournage; à l'historique rencontre de pardon que les Dupont ont eue avec l'un des
meurtriers; Normand Guérin; à la prison de Port-Cartier. Avec un sens aigu de la montée
dramatique au cinéma; Denis Boivin construit son reportage documentaire autour de cette
édifiante et saisissante scène d'accolade.
Avant ce point culminant; le spectateur apprendra l'histoire de ce pardon à travers des
témoignages étonnants dont ceux de la famille Dupont ;
histoire traversée par le courant du Renouveau charismatique. Le film nous amènera aussi
chez les Guérin où le frère de Normand ouvrira son "scrap book" de cette
tragédie. On entendra celui-ci; transformé en peintre du dimanche; parler de la pureté
de sa victime.
Du côté de la famille de Maurice Marcil; on préfèrera oublier plutôt que de
pardonner; tandis que le meurtrier complice; Gilles Pimparé; refusera tout contact avec
les Dupont.
Outre la gravité du sujet; c'est aussi l'excellente qualité dramatique et documentaire
du film qui a contribué à placer Denis Boivin au premier plan de l'actualité.
"Ça fait près d'une quinzaine d'années que je m'entête à faire du cinéma.
Depuis 10 ans; j'ai systématiquement soumis à tous les ans un projet à la Sogic. Je
n'ai jamais obtenu un sou de cet organisme québécois de soutien au cinéma."
L'exégète de Marie
Radio-Canada aussi; nous apprend Denis Boivin au cours d'une entrevue au SOLEIL; a levé
le nez sur le projet du Pardon. Les choses risquent maintenant de changer; aussi bien pour
le film que pour l'avenir même du cinéaste. Contre toute attente; son film vient de
prendre l'affiche d'une salle commerciale à Montréal; l'Elysée.
Boivin vient aussi de finaliser avec la France un projet de court documentaire sur la
prévention du sida chez les adolescents. Il le
tournera cet été à Tours; là même où se tenait le Festival international de cinéma
et de télévision qui a honoré Le pardon du grand prix Henri
Langlois pour le meilleur grand reportage.
C'est aussi à Tours qu'est née Marie de l'Incarnation; cette première missionnaire
française du Nouveau Monde qui a en quelque sorte confirmé la vocation
cinématographique de Denis Boivin.
Il mijote en effet depuis quelques années un projet de long métrage sur cette femme. Sa
volonté est telle qu'il n'a pas hésité; devant le scepticisme de la Sogic; à faire une
maîtrise en théologie à l'université Laval. Son sujet de thèse : Marie de
l'Incarnation.
"Ce sera un film à tendance spirituelle. Mon objectif est d'en faire un grand festin
humain et une fête de cinéma. Recréer l'aspect mystique de cette vie. J'ai adoré
Thérèse d'Alain Cavalier sur sainte Thérèse de Lisieux. Au point d'en être jaloux.
Mais ce n'est pas la voie que je vais emprunter. Ce sera tout à fait différent."
Il ajoute que tous les dialogues du films seront authentiques; appuyés sur son travail de
bénédictin dans la recherche des écrits de Marie de l'Incarnation; dont il est devenu
l'exégète.
Religion infantile
"C'est d'ailleurs ce projet qui m'a mené au Pardon. La Sogic voulait que je fasse
mes preuves par un premier moyen métrage (une heure). Je n'avais touché qu'au court
métrage. C'est comme ça qu'avec l'aide financière de la Fondation Giguère Automobile
(vouée aux actions religieuses); j'ai pu réaliser ce film."
Advenant la concrétisation; prévisible; de ce projet; Denis Boivin craint toutefois
qu'on cherche à lui imposer un réalisateur; par peur de confier une entreprise aussi
coûteuse à un cinéaste qui n'a pas encore fait ses preuves dans le long métrage.
Il soulève une autre difficulté. Celle de son approche respectueuse de la dimension
religieuse du film. "Avec Le pardon; il m'a fallu écarter des candidats; au travail
de montage des images; qui voulaient faire un film anti-Dupont; contre ce qu'ils
désignent être du fanatisme religieux." On peut; ajoutera-t-il; rencontrer à des
postes de pouvoir dans les organismes de soutien au cinéma; des gens qui sont
traumatisés par une "religion infantile" de leur époque; qui n'a plus cours
aujourd'hui.
En attendant de pouvoir se consacrer entièrement au cinéma; il
gagne présentement sa croûte en donnant des cours de religion et de sexualité dans une
école polyvalente de Saint-Césaire; près de Saint-Pie de Bagot. "Ça me demande
beaucoup plus de temps que je ne le croyais. Mais j'aime nettement mieux ça que d'être
chauffeur de taxi ou barman..."
Louis et Jeannine Dupont en compagnie du meurtrier de leur fille, Normand Guérin (à
droite), à qui ils ont pardonné. Cette troublante rencontre au pénitencier de
Port-Cartier sert de pivot dramatique au documentaire de Denis Boivin, "Le
pardon".
Denis Boivin mijote depuis quelques années un projet de long métrage sur Marie de
l'Incarnation.
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